LA MAISON DES FEMMES DE PARIS Epilogue
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ÉPILOGUE Le texte qui suit
sort du cadre de la recherche scientifique Que
dire de plus sur la violence sexuelle faite aux femmes que n’ont déjà dénoncées les
associations, les militantes et celles qui ne savent pas qu’elles militent pour des conditions de
vie meilleures, un monde plus juste, plus humain. Rien d’autre. À moins que l’on parle de
valeurs démocratiques et républicaines à défendre, de valeurs civiques à retrouver dans les décombres
et du travail quotidien de milliers de petites mains, de femmes. Que
dire de plus sur la relation amoureuse sinon que presque plus personne n’y croit. Les romans
n’invitent plus au sentimentalisme et les histoires d’amour romancées sont devenues des
histoires de sexe amplifiées. Les femmes rivalisent désormais sur le terrain des hommes :
corps découpés sous l’œil même pas attendri du lecteur, regard brouillé du spectateur par le
zoom sur les trois orifices d’une probable extase. Gainsbourg disait « no comment »,
l’industrie du sexe répond par le commentaire gynécologique d’une surface décortiquée. Les
grandes lèvres, les petites, le clitoris et un vagin qui n’en finit plus de grandir. Mise en scène
théâtrale, épilogue de l’amour, prologue pour un substitut du plaisir, charcuté. La violence
est érotisée. Des
jeunes filles regardent des films pornographiques, pourquoi pas. Sauf que là, elles s’initient
aux plaisirs des hommes. Comment faire pour être la meilleure, comment faire pour l’attirer,
comment faire pour le garder. Elles pourraient devenir de délicates amazones si elles n’étaient
à un moment donné meurtries, tiraillées entre ce qu’elles rêvaient d’avoir et ce qu’elles
ont. On parle d’éducation que n’assure plus la famille, on n’évoque que très peu
l’absence d’une éducation sexuelle à l’amour. Les
filles dites tournantes existent à Marseille, comme ailleurs. Ce sont ces jeunes filles qui passent
d’hommes en hommes sans autre compensation que l’espoir de trouver le bon, le dernier, le véritable
amour. Elles n’inspirent ni les poètes, ni les hommes qui les font tourner comme on fait tourner
une bière, un paquet de chips, un joint. Si le produit est bon, il pourra être commercialisé, la
femme pourra devenir une prostituée. Carrière mirobolante pour une initiation sur le tas par de
petits malfaiteurs avertis et des jeunes filles, si peu initiées au plaisir d’être aimée. Certains
disent que le problème n’existe pas, que le mot est importé des banlieues, qu’il n’est pas
beau, que ça ne veut rien dire. Alors, pourquoi il existe ce mot ? Le mot « tournante »
n’est pas beau, c’est vrai ; il est aussi laid que la réalité que subissent ces femmes
murées dans le silence des quartiers. Difficile de les mettre dans des cases : entre le viol,
la prostitution et la violence conjugale. On préfère la pudeur, la vision d’un autre monde, la déformation
d’une réalité sociale pour une plus rapide transformation. Qu’est-ce
qu’on fait ? Si on refuse encore qu’elles constituent à elles seules une catégorie de
l’exploitation sexuelle, on nie la réalité. On les enferme dans l’existant pour ne pas penser
un autre possible, une autre réalité. Ces jeunes filles ont un terrain favorable à toutes les
formes de violences sexuelles, psychologiques, morales et symboliques faites par les hommes. En
acceptant qu’elles existent, on peut améliorer des plans de formation en direction de jeunes garçons
et filles de l’école primaire, du collège et du lycée. Juste pour prévenir et avoir un peu
moins à guérir, à dose homéopathique et régulièrement administrée. Les jeunes parlent de
tournantes, les adultes de viol en réunion. Ceux qui violent ne pensent pas violer, celles qui sont
violées ne pensent pas être forcément violées. C’est peut-être encore une fois considérer
que les adultes n’ont rien à apprendre des jeunes « de quartiers » que de vouloir
comprendre le monde avec nos mots. |
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question.
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